CLAUDE DONNAY - RESSAC
Je lis Ressac, du poète Claude Donnay, un pays. Flux, l'écriture est ronde, suave, parfumée, amoureuse, chargée d’épices, allègre, l'homme savoure le monde, le hume, en éprouve la soie, les velours noirs. J’entends parfois la lyre éluardienne, caressante et libre. Avec des coulées savoureuses, agréables, parfumées. Le poète, - en la singularisant, en la mettant en musique, en la peignant et en la laissant percoler en lui -, communie à la beauté des choses. Recueillie, alchimisée, la beauté forme une étoile intérieure.
L'intime se pare de lumière
Les choses sont subtiles dans le domaine du poéte. Les liens entre elles sont ténus, ourlés d'un fil fragile : invention, désir, état du rêve, utopie, vrai.
Un pinceau retouche le jour. (...) Une main repeint une vie endormie.
Reflux. Le poète n'est pas dupe. A l'arrivée, au flux du train, son bouquet de désespoir n'est pas reçu. Au reflux du train, le poète n'embarque pas, il n'est pas de ce voyage. Il est autre, seul. Mais cette solitude est traversée par un regard, par la grâce de l'évocation, par la grâce alchimique de transmuer le désespoir en lueur, le réel en art.
Dehors la lune arrondit son masque vénitien sur le mur clair de l'oubli.
Le poète n'orchestre pas. Il ne dirige pas.
Dans un grenier de toiles et de livres, revêtu de mon manteau de cendres, à cultiver une solitude lumineuse entre les parenthèses d’un temps qui lance les dés à mon insu.
Mais il produit une note bleue, elle n’appartient qu’à lui, si le poète n’existe pas, cette note n’entend jamais le jour, n’atteint jamais l’oreille de personne. Le poète est un prodige infime. Le beau recueil de Claude me fait songer au dernier film de Fellini, La Vocce de la Luna, au portrait du poète Ivo Salvini que propose le cinéaste italien. C’est un genre de beau Salvini, céleste avec la lune et profond dans les voix souterraines qu’il perçoit, que le recueil de Claude Donnay donne à voir, à percevoir, à sentir, à entendre. Autre regard, autre façon d’éprouver, de produire de la lumière, d’être sensible au monde, de créer des chœurs dans les mots et les sensations, d’aimer, d’être seul, de faire silence (la poésie peut être une forme noble, élevée du silence), d’entendre des voix inouïes, de passer le monde au tamis de son âme, de sentir le mouvement (sac, ressac, bas, haut, solitude et nombre, lucidité, espérance). Autre manière d’attendre, de se souvenir, de se consumer. Avec ce petit plus, cette étincelle dans la nuit. C’est un portrait passionnant, tout en nuance, en subtilité, en élégance du poète que propose Claude Donnay. Son poème exalte cet état de lucidité hallucinée qui hante et anime la poésie. Le balancement poétique est là, physique et sonore : plainte, bercement, silence, chant, avancée, recul, sensualité, mélancolie, oscillations de l’arbre au vent, de l’oiseau au ciel, de l’être entre son rêve et sa clairvoyance, mouvement vital de l’homme attentif aux injonctions de son océan intérieur, oscillation du pont de cordes qui relie les pouls distincts du jardin secret et du verger blessé du monde. Ce Ressac est encore un chant d’amour et d’estime consacré à l’espace insulaire original, unique, de l’être posé dans les houles, les fracas ou l’huile paisible du monde et une célébration de la liberté indispensable, fût-elle douloureuse, cette liberté de créer, d’absorber et de restituer, d’inventer les instants de la vie. Claude jette, comme un filet sur quelques mètres de la mer immense, un filigrane poétique si précieux dans la chair sourde et aveugle de l’absurdité du monde.
Quand je regarde dans la fenêtre, c’est toi que je vois, pas le ciel, pas le soleil, pas même l’oiseau sur la branche. Je t’écris le silence qui m’habite, une parole blanche de patience et de retenue. Je t’écris le silence d’une musique en équilibre sur le bord de mes oreilles. Elle hésite à s’envoler. L’air qui tremble dans le matin peut-il la porter ? Rien n’est impossible, chante l’oiseau sur la branche, mais la musique sait qu’elle n’est pas un oiseau, juste un silence qui se cherche des ailes. Quand je regarde dans la fenêtre, c’est toi que je vois et ces mots silencieux posés sur tes épaules comme des oiseaux ou des anges tombés du jour.